Jazz Magazine / Jazzman #607 (October 2009)

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  • NOËL AKCHOTÉ © DAVID SYLVIAN

    NOËL AKCHOTÉ © DAVID SYLVIAN

  • © DONALD MILNE

    © DONALD MILNE

Published at October 26, 2009

David Sylvian interview in Jazz Magazine / Jazzman #607, October 2009. 

Interview : Frdric Goaty

Jentends toujours les fantmes de Ghosts dans votre chant, et votre criture aussi
La faon dont japproche une chanson compte moins que lide, plus gnrale, de dconstruction dun arrangement. Ghosts fonctionne certainement comme un prototype : cest l que lide, et surtout son excution, ont donn de vrais rsultats. Mais il y eut par la suite dautres chansons qui ont chos cette approche : Weathered Walls, Gone To Earth, Pop Song, etc. Avec Blemish, la forme traditionnelle a plus ou moins t abandonne, et nous sommes entrs dans un monde plus abstrait, pour tenter de crer de nouvelles formes. Manafon est une extension de cette appoche.

la premire coute, Manafon semble effectivement tre la suite logique de Blemish. Mais laccent est particulirement mis sur la voix, vous avez cadr dune autre manire les impros libres de vos accompagnateurs
Il y a une diffrence, comme vous le savez, entre ce que lon appelle jazz et improvisation libre. Bien que beaucoup pensent que les racines du free improv proviennent du jazz, et que son volution la peu peu dfini en tant que genre part entire. Si lon considre tout ce que jai publi depuis dix ans, Manafon est peut-tre le disque le moins travers par un feeling jazz. Dun autre ct, il embrasse limprovisation plus que tout ce que jai enregistr ce jour.

Improvisez-vous live en studio avec vos musiciens ?
Non. Jcris les paroles et je menregistre en quelques heures, ds que je me retrouve pour la premire fois seul avec la musique, ce qui est aussi une forme dimprovisation peut-tre pas dans sa forme la plus pure… Lconomie de moyens mis en uvre reflte, je crois, les improvisations elles-mmes.

Quelles sont vos influences aujourdhui ? Dans Manafon, vous oscillez entre le chant et le parl…
Il mest trs difficile de dfinir exactement do mes influences proviennent. Jai absorb et digr tant de choses quelle peuvent surgir dans mon travail sans aucun calcul de ma part. Vous tenez vraiment ce que je vous cite deux artistes-vocalistes qui rsonnent encore en moi ? Robert Wyatt et Tim Buckley. Mais je ne suis pas certain que vous arriverez entendre leur influence chez moi

Nick Drake, John Martyn ? Vous avez travaill avec le contrebassiste Danny Thompson, qui a aussi enregistr avec eux

Drake et Martyn font tous deux partie de mon rgime musical depuis des dcennies. De Martyn, je nai cependant cout que ses disques acoustiques. L encore, ce nest peut-tre pas si vident, mais jai souvent ressenti une profonde parent avec Drake.

Pensez-vous avoir cr votre propre esthtique ?
Ce nest pas moi mais aux autres den dcider

Nol Akchot a particip des sances que vous avez diriges

… mais elles ne convenaient pas la tonalit globale de Manafon comme beaucoup dautres dailleurs… Mais jadore Nol le musicien et lhomme , et je serais ravi de travailler nouveau avec lui.

Comment avez-vous rencontr Evan Parker ?

Jai lhabitude dcrire aux musiciens, de les appeler Dans le cas dEvan, cest trs simple : je suis assez proche de quelquun qui travaille pour ECM aux Etats-Unis, et je lui ai demand son adresse email…

Aimeriez-vous enregistrer pour ECM, sous la direction de Manfred Eicher ? Vous avez jou un rle dcisif dans le dernier CD dArve Henriksen, Cartography, publi par ce label

Je ne suis pas certain que ce serait une bonne chose. Mais si un jour Samadhisound nexiste plus, certainement. Mais je ne crois pas que jai personnellement besoin du patronage de Manfred Eicher, bien que jaie un profond respect pour lui et son label.

Malgr le pouvoir grandissant du tlchargement, lgal ou illgal, vous continez de croire au support CD

Je nai pas un attachement particulier au CD en tant que mdium, mais jai volu dans une priode o la musique y tait lie, et je ne suis pas prt abandonner totalement cette ide de support physique. Pourquoi ? Parce que jadore la notion de collection de chansons, les thmes, les concepts, la faon dont on les habille, le design du CD… Les nouveaux mdiums repoussent les limites, mais je ne veux pas perdre ce quil y a de bon et parfois de mauvais dans le fait quon prsente une suite de chansons. Chacune dentre elles peut tre apprcie en tant que telle, comme un pome extrait dun recueil, mais je crois quon ne peut saisir toute sa rsonance quen ayant connaissance du recueil complet, non ? Chacun fait comme il veut, mais moi jaime prsenter un travail complet. Et tant que ce sera possible, je le ferai.

Nol Akchot about David Sylvian

Jai une drle de chance (dans la vie sentend), souvent jfais des rencontres. Mais de vraies rencontres, cest–dire avec des gens dont jignore peu prs tout ou presque linstant davant. Il semble que par le biais dun ami commun japonais, David avait entendu ds sa sortie un album solo (Alike Joseph, Rectangle, Rec-AN, puis) o prcisment je joue sans jamais toucher les cordes de linstrument (une guitare Duo-Sonic Fender de 1962 et un ampli Princeton, Fender). a doit commencer peu prs l, lhistoire. Sauf que de mon ct je navais jusque l achet quun seul de ses albums et principalement cause du guitariste Robert Fripp (King Crimson, Brian Eno, Cheikha Rimitti, The League of Crafted Guitarists, etc.). Ensuite je me souviens avoir reu un email (en pleine tourne avec David Grubbs, celle o dailleurs pour la petite histoire Yann Tiersen nous avait trs gentiment propos de passer notre seul jour off en studio avec lui pour une BO et ce quoi nous avons prfr lunanimit aller manger longuement dans un excellent restaurant franais de la capitale), provenant de son management au sujet de sances denregistrement (encore) qui plus tard devinrent lalbum avec Derek Bailey (l aussi je ne sais plus pourquoi mais a ne se fit pas).

De David Sylvian, je crois savoir pas mal de choses au fond alors que de sa musique et de ce quil provoque chez ses fans je ne connais presque rien. Cest de ce type de rencontre dont je parle. Et on se parle regulirement beaucoup puis pas du tout puis encore plus. a fait pas mal dannes que cela dure, rgulirement. Nous avons pass quelque jours en studio Vienne ensemble, o il ma dirig en solo dabord, puis dans diverses combinaisons avec Keith Rowe et Christian Fennesz. Plus tard, il a voulu mixer les bandes master dAlike Joseph pour le rditer sur Samadisound, et ce ft une exprience forte encore. Jai lair de vouloir viter de parler de lui, de son travail, mais cest plus une sorte de pudeur et de relle ignorance. Est-ce que ses fans au fond nont pas ce mme rapport lui ? Est-ce que tout son chant, ses mondes, ses prsences, ne sont pas de lordre de lintime justement ? A peine descriptibles si ce nest lentendre. Le David Sylvian que je connais est avant tout une personne, et cette personne joue une musique qui est la mme. Peut-tre aussi que jaime prserver ce lien au monde extrieur qui est le sien, comme on protge un ami. Parce que cest son choix, sa faon dtre l en donnant enormment et en se retirant aussi tout de suite aprs.

Je me sens sincrement trs proche de lui et la fois tellement diffrent. Je repense cette phrase de Sollers : Pour savoir quel point lon partage avec une ou un autre il suffit de vrifier pendant combien de temps on peut rester dans le silence, ou couter une musique ensemble .


Avec David jai cette impression, celle aussi davoir ouvert une porte qui va durer trs longtemps, de soffrir le luxe dessayer plein de choses et de nen retenir aucune, sans la moindre obligation, pleinement libres et prsents. Il a son ide, jai les miennes, on se les refile : je voudrais vraiment que lon enregistre des chansons et standards de Broadway juste tous les deux, sans rien dautre. On a quelques vies pour le faire je pense. Quitte se dvoiler ici un peu je vais vous dire une chose : il me fait terriblement penser au Chet Baker qui vous tenait la main sans dire un mot et en regardant les gens autour pendant la dure dune pause entire entre deux sets. Cette mme conscience du monde. Peut-tre aussi une mme image publique qui a fait du mal et qui nest pas la ralit de ses tres plus que sensibles, et forts la fois. Les rencontres vous font une vie, la musique pareillement.


Nol Akchot

 

Original article on davidsylvian.com

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